La durabilité, et en particulier les aspects environnementaux, occupent une place de plus en plus importante dans la législation suisse. Ces dernières années, de nombreux efforts législatifs ont été déployés pour réduire les impacts négatifs sur le climat et obliger les entreprises à se conformer à certaines obligations de diligence raisonnable et de rapport. Le 27 janvier 2021, le Conseil fédéral suisse a publié la Stratégie climatique à long terme de la Suisse, qui fixe l'objectif d'atteindre des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles d'ici 2050.1
En décembre 2022, le Parlement suisse a adopté la loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l'innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique (loi suisse sur le climat).2 La loi suisse sur le climat codifie l'objectif de la Suisse de parvenir à des émissions de gaz à effet de serre qui soient à zéro net d'ici à 2050 et fixe des objectifs intermédiaires de réduction des émissions de 64 % en moyenne sur la période 2031-2040 ; de 75 % d'ici 2040 ; et de 89 % en moyenne sur la période 2041-2050. La loi suisse sur le climat exige des entreprises qu'elles parviennent à des émissions directes et indirectes de zéro net d'ici à 2050, et précise qu'elles peuvent mettre en place des feuilles de route pour y parvenir.3 Le gouvernement fédéral fournira une aide financière aux entreprises jusqu'à 2030 pour l'application des technologies et processus innovants nouvelles afin de mettre en œuvre ces feuilles de route.4 La loi suisse sur le climat exige également du gouvernement qu'il contribue efficacement à réaligner les flux financiers provenant des institutions financières suisses sur un développement à faible émission capable de résister aux changements climatiques.5 La loi suisse sur le climat sera mise en œuvre principalement par le biais de la loi fédérale sur la réduction des émissions de CO2 (loi sur le CO2), qui est actuellement en cours de révision. La loi suisse sur le climat a été adoptée, mais elle n'est pas encore entrée en vigueur. L'Union démocratique du centre a demandé un référendum contre la loi.
En mai 2021, l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) a introduit des obligations de rapport destinées aux grandes banques et aux compagnies d'assurance (catégories de surveillance 1 et 2), conformément à la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD). Pour ce faire, la FINMA a modifié ses circulaires ‘Publication – banques’ (Circulaire 2016/1) et ‘Publication – assureurs’ (Circulaire 2016/2).6 Les règles de publication révisées exigent que les institutions financières concernées : décrivent les caractéristiques centrales de la structure de gouvernance de l'entité pour lui permettre d'identifier, d'évaluer, de gérer, de surveiller et de rendre compte des risques financiers liés au climat ; décrivent les principaux risques financiers liés au climat identifiés et leur impact sur la stratégie commerciale, le modèle d'entreprise et la stratégie ; décrivent les structures de gestion des risques en ce qui concerne ces risques ; et publient des informations quantitatives sur leurs risques financiers liés au climat. 7 La FINMA a analysé les premières informations sur les risques financiers liés au climat qui ont été incorporées dans les rapports annuels des banques et des établissements financiers pour l'exercice 2021. La FINMA a déclaré que "dans la plupart des cas, il est difficile pour le lecteur de se faire une idée claire de la pertinence effective des risques financiers liés au climat pour chaque établissement".8 La FINMA a proposé de mener un examen ex post après l'évaluation des informations qui seront communiquées en 2023 et d'identifier si et dans quelle mesure des adaptations futures de la pratique de publication sont nécessaires.
En décembre 2022, le Conseil fédéral a défini sa position sur l'écoblanchiment, déclarant que les produits ou services financiers étiquetés comme durables doivent poursuivre un objectif de durabilité en plus de leurs objectifs financiers.9 Il est prévu que le Conseil fédéral propose de nouvelles réglementations sur ce sujet après septembre 2023.
En janvier 2022, une révision du Code des obligations suisse est entrée en vigueur, mettant en œuvre de nouvelles obligations de diligence raisonnable et de rapport pour les entreprises suisses. Cette nouvelle loi a été introduite en tant que contre-proposition à l'Initiative pour des entreprises responsables, qui aurait permis de poursuivre les entreprises suisses devant les tribunaux suisses en cas de violations présumées commises dans le monde entier à l'encontre des droits de l'homme ou des lois environnementales. Les nouvelles exigences en matière de rapport ESG s'inspirent de la directive européenne sur le reporting non financier (directive 2014/95) (cf. ci-dessous la section sur les obligations de divulgation des administrateurs). Comme indiqué dans la section UE ci-dessus, les règles énoncées dans la directive de l'UE sur le reporting non financier seront remplacées par la directive de l'UE sur les rapports de durabilité des entreprises. Comme une grande partie de l'économie suisse sera affectée par ces modifications de la directive européenne, le Conseil fédéral suisse suppose qu'il sera nécessaire d'adapter les obligations suisses en matière de rapports ESG à la directive de l'UE sur les rapports de durabilité des entreprises. Dans ce contexte, le Conseil fédéral suisse a décidé le 2 décembre 2022 de préparer un projet de modification des obligations suisses de reporting ESG conformément à la directive de l'UE sur les rapports de durabilité des entreprises, et ce au plus tard pour juillet 2024.10
En novembre 2022, le gouvernement suisse a publié une ordonnance, faisant partie des exigences de rapport ESG introduites avec la révision du Code des obligations suisse susmentionnée, qui précise les obligations de rapport sur les questions climatique destinées aux grandes entreprises suisses, y compris les sociétés cotées en bourse et celles ayant des obligations en circulation ainsi que les banques et assurances.11 Cette ordonnance prévoit la mise en œuvre des recommandations du TCFD par les grandes entreprises suisses (cf. la section ci-dessous sur les obligations de divulgation des administrateurs). L'entrée en vigueur de l'ordonnance surviendra le 1er janvier 2024.
Devoirs des administrateurs et changement climatique
Les obligations des administrateurs de sociétés suisses sont principalement régies par le Code des obligations (CO). Les dispositions légales sont complétées par des lois non-contraignantes, comme le Code suisse de bonnes pratiques.12
Selon l'article 716a CO, le conseil d'administration est inter alia chargé d'exercer la haute direction de la société, de fixer l’organisation de la société, de fixer les principes de la comptabilité et du contrôle financier ainsi que le plan financier et d'exercer la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion pour s’assurer. En particulier, le conseil d'administration doit définir la stratégie de la société et s'assurer que cette stratégie est dans l'intérêt de la société et qu'elle puisse être mise en œuvre par les ressources disponibles. Le conseil d'administration doit également veiller à ce que les risques de la société soient suffisamment identifiés, évalués et gérés.
Les membres du conseil d’administration, de même que les tiers qui s’occupent de la gestion, exercent leurs attributions avec toute la diligence nécessaire et veillent fidèlement aux intérêts de la société (article 717 CO). Si les administrateurs manquent à leurs devoirs, que ce soit intentionnellement ou par négligence, ils sont responsables, tant envers la société qu'envers les actionnaires et les créanciers individuellement, des pertes ou dommages résultant de la violation de leurs devoirs (article 754 CO).
La loi ne prévoit pas explicitement que les administrateurs doivent également prendre en compte les risques liés au climat lorsqu'ils déterminent la stratégie de l'entreprise et supervisent ses systèmes de gestion des risques. Toutefois, à la lumière des développements mentionnés ci-dessus, en particulier de la prise de conscience répandue chez les régulateurs financiers que le changement climatique présente des risques financiers considérables pour les entreprises, ainsi que des nouvelles exigences en matière de rapport ESG, il s'ensuit en toute logique que les administrateurs doivent intégrer les risques et opportunités climatiques dans leurs rôles de gouvernement d'entreprise.
Obligations de divulgation des administrateurs et changement climatique
Comme expliqué précédemment, la révision du Code des obligations suisse, introduite comme contre-projet à l'initiative pour des entreprises responsables, est entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Les nouvelles dispositions du Code des obligations suisse prévoient deux nouvelles obligations. D'une part, les grandes entreprises suisses seront tenues de publier un rapport ESG général présentant les risques de leurs activités commerciales en matière environnementale, sociale, personnel, le respect des droits de l’homme et la lutte contre la corruption, ainsi que les mesures prises à cet égard. D'autre part, les entreprises présentant des risques dans les domaines sensibles du travail des enfants et des minerais dits de conflit doivent se conformer à des obligations spéciales et étendues de diligence raisonnable et de rapport. Le Conseil fédéral a fixé les détails de ces obligations spécifiques de diligence et de rapport dans une nouvelle ordonnance sur les devoirs de diligence et de transparence en matière de minerais et de métaux provenant de zones de conflit et en matière de travail des enfants (ODiTr).13 Les nouvelles exigences s'appliqueront à partir de l'année financière de 2023. Cela signifie que les premiers rapports basés sur le nouveau cadre légal de rapport et de diligence raisonnable ESG doivent être publiés en 2024 pour l'année financière de 2023.
L'obligation générale de rapport ESG (articles 964a à 964c CO) s'applique aux sociétés d'intérêt public siégeant en Suisse qui, avec les sociétés contrôlées en Suisse et à l'étranger, (i) comptent au moins 500 emplois à plein temps en moyenne annuelle, et (ii) ont un total du bilan d'au moins 20 millions de francs ou un chiffre d'affaires de 40 millions de francs pendant deux années consécutives. Outre les établissements financiers réglementés par la FINMA, les sociétés d'intérêt public comprennent les sociétés constituées en Suisse qui sont cotées en Suisse ou à l'étranger, qui ont des obligations en circulation ou qui contribuent à hauteur d'au moins 20% des actifs ou du chiffre d'affaires consolidé de ces sociétés. Toutefois, les sociétés qui sont contrôlées par une société à laquelle les nouvelles obligations de rapport s'appliquent, ou qui sont soumises à un rapport équivalent en vertu de lois étrangères, ne sont pas tenues d'établir un rapport supplémentaire.
Bien que les filiales suisses de sociétés étrangères ne soient généralement pas cotées en bourse, les obligations de rapport ESG peuvent s'appliquer à ces filiales, si elles ont des obligations en circulation, à moins qu'une société mère directe ou indirecte ne soit soumise à des obligations de rapport équivalentes en vertu du droit étranger, comme l'impose la directive européenne sur le reporting non infancier ou la directive sur les rapports d'entreprise sur le développement durable (voir à ce sujet la section UE ci-dessus).
Le rapport ESG doit inclure les informations nécessaires à la compréhension de l'activité de l'entreprise et de l'impact de ses activités sur l'environnement (y compris les objectifs en matière de CO2), ainsi que les préoccupations sociétales liées aux employés, au respect des droits de l'homme et à la lutte contre la corruption à travers leurs chaînes de valeur.14
Comme mentionné précédemment, l'exigence de rapport ESG est calquée sur la directive européenne sur le reporting non financier. La liste non exhaustive des sujets que le rapport ESG doit couvrir suit de près le modèle européen. Plus précisément, le rapport doit couvrir les sujets suivants :
- le modèle commercial de l’entreprise (Modèle commercial) ;
- les principaux risques ESG résultant des activités propres de l'entreprise et, lorsque cela est pertinent et proportionné, de ses relations commerciales, produits ou services (Principaux risques et gestion de ces derniers) ;
- les politiques suivies pour traiter ces risques ESG, y compris la diligence raisonnable appliquée (Politiques menées et procédures de diligence raisonnable) ;
- les résultats de ces politiques (Résultats) ; et
- les indicateurs clés de performance non financiers liés à la réponse de l'entreprise aux risques ESG (Indicateurs clés de performance).
Si une entreprise n'a pas de politique concernant certains domaines de risque ESG, le rapport doit inclure une explication les raisons de cette lacune (comply or explain). La seule explication défendable à laquelle on pourrait s'attendre est une évaluation selon laquelle les activités de l'entreprise ne suscitent pas de préoccupations dans un certain domaine.
Le rapport peut se fonder sur des normes de rapport nationales, européennes ou internationales, comme par exemple Les principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales15 ou encore les normes du Global Reporting Initiative (GRI).16 En outre, les entreprises peuvent vouloir s'inspirer des lignes directrices que l'Union européenne a publiées sur la méthodologie de communication des informations non financières.17 Sous les rubriques susmentionnées, ces lignes directrices énumèrent en détail les aspects que le rapport ESG doit couvrir.
Par ailleurs, comme indiqué ci-dessus, le Conseil fédéral a entre-temps précisé les exigences relatives au rapport basé sur le climat dans une ordonnance.18 Selon cette ordonnance, il est supposé que les entreprises se conforment à leurs obligations de rapport basé sur le climat si elles suivent les recommandations du TCFD comme spécifié à l'article 3 de l'ordonnance. Cette hypothèse n'empêche pas les entreprises de rapporter l'impact du climat sur son activité et de l'impact des activités de son entreprise sur le climat d'une autre manière, notamment en s'appuyant sur d'autres lignes directrices ou normes. Toutefois, dans un tel cas, l'entreprise doit démontrer spécifiquement qu'elle satisfait à l'obligation de faire rapport sur les questions climatiques ou expliquer, dans le cas contraire, pourquoi elle n'a pas de politiques traitant des questions climatiques (comply or explain).
Le rapport peut être établi dans l'une des langues nationales suisses (c'est-à-dire en allemand, français ou italien), ou en anglais. Il doit être approuvé par le conseil d'administration et l'assemblée des actionnaires et rendu accessible au public par voie électronique pendant une période de 10 ans. Cependant, contrairement aux bilans financiers de l'entreprise, il n'est pas obligatoire que le rapport ESG soit audité.
La non-conformité au nouveau régime de rapport ESG est sujette à une responsabilité pénale. La non-conformité comprend l'inclusion de fausses déclarations dans l'un des rapports nouvellement exigés, le rapport ESG générique et le rapport sur le respect des mesures de diligence raisonnable dans le domaine des minerais de conflit et du travail des enfants, ou l'omission d'éditer, conserver ou publier l'un de ces rapports. Si l'un de ces actes est commis intentionnellement, l'amende peut atteindre 100'000 CHF ; s'il est commis par négligence, l'amende peut atteindre 50'000 CHF.
En outre, une diligence raisonnable ou un rapport ESG déficient peut engager la responsabilité civile en vertu du droit existant, à savoir la responsabilité des membres du conseil d'administration et de la direction en vertu de l'article 754 CO.
Implications pratiques pour les administrateurs
En plus de notre recommandation constante de développer et de maintenir un programme général de conformité efficace et bien documenté, nous suggérons qu'en réponse aux développements exposés dans cette communication, les administrateurs accordent une attention particulière aux points suivants:
- Examiner et, le cas échéant, ajuster le gouvernement d'entreprise pour assurer un leadership approprié au niveau du conseil d'administration en ce qui concerne les risques liés au climat, y compris les impacts négatifs que les activités de l'entreprise peuvent provoquer et les risques juridiques auxquels l'entreprise peut être confrontée;
- Désigner une ou plusieurs responsables chargés de suivre et de fournir des conseils permanents concernant le nombre croissant de lois et de réglementations dans le domaine des exigences de gestion des risques climatiques, tant en Suisse que sur les marchés étrangers de leurs entreprises;
- Déléguer l'identification et l'évaluation des risques climatiques à une équipe de direction clairement identifiée qui rend directement compte au PDG et au conseil d'administration, et qui est chargée de réunir toutes les fonctions clés, notamment la fonction juridique et/ou de conformité, la gestion des risques d'entreprise, la planification stratégique, l'audit, la rémunération, les ressources humaines, les relations avec les investisseurs, les relations avec les parties prenantes, etc;
- Examiner et, le cas échéant, ajuster les politiques et les processus de gestion des risques liés au climat dans l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et du réseau de distribution de l'entreprise, y compris les filiales et les tiers, sur la base d'une solide évaluation des risques. À cet égard, élargir et approfondir le cadre de diligence raisonnable des intermédiaires tiers de l'entreprise pour prendre en compte les facteurs de risque liés au climat et le faire dans les niveaux 2 et 3 des chaînes d'approvisionnement de l'entreprise; et
- Revoir et, le cas échéant, adapter leurs rapports sur les facteurs de risque liés au climat et les mesures qu'ils prennent pour faire face à ces risques. Introduire des processus de contrôle interne en relation avec les rapports.
Contributeurs:
- Corinne Nacht, Baker McKenzie Switzerland
- Philippe Reich, Baker McKenzie Switzerland